Psychologie et médias

Halloween et la fascination pour la peur

Halloween et la fascination pour la peur
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Marcello Delmondo
La Rédaction
Psychothérapeute spécialisé en thérapie psychanalytique
Unobravo
publié le
31.10.2024

Une citrouille peut-elle faire le tour du monde ? Oui, c’est le cas de la citrouille d’Halloween ou Jack O’Lantern, le personnage légendaire qui, depuis le monde anglo-saxon et américain, est devenu un symbole de la fête d’Halloween dans le monde entier.

Le nom de cette fête provient de All Hallows Eve, littéralement « la veille de tous les saints ».

Un ivrogne nommé Jack, interdit au paradis en raison de sa mauvaise vie, et exclu de l'enfer à cause d'un pacte avec le diable, est contraint d'errer avec une braise à l'intérieur d'un navet. D'où la coutume de sculpter des citrouilles en forme de visages humains et de les remplir de lumières.

Quel est le rapport entre ce personnage et la fête chrétienne de la Toussaint et avec les nombreuses traditions qui célèbrent le lien avec l’au-delà dans le monde entier ? Nous essayerons de le découvrir en tentant de comprendre les raisons anthropologiques, psychologiques, économiques et culturelles qui ont contribué à ce qu'une citrouille fasse le tour du monde.

Pourquoi fête-on Halloween ? Histoire et traditions du monde

L’historien Rogers (2002) fait le lien entre Halloween et la fête celtique de Samhain, célébrée pendant la même période de l’année. Dans les campagnes, la tradition paysanne établit un rapport fondamental avec les saisons. Les moments de transition d'une saison à l'autre s'accompagnent généralement de festivités conçues comme des moments de remerciement ou rite de propitiation, comme la fête de la récolte ou des vendanges.

En toile de fond de ces festivités, la relation constante entre la vie et la mort. Dans la culture celtique, avec la fête de Samhain, on fêtait le passage de la saison claire à la saison sombre (Le Goff, 1981; Cardini, 1981), un moment de l’année où les morts pouvaient retourner chez eux pour se réchauffer et profiter de plats préparés par leurs familles. 

Dans cette même période, des sorcières, fées et lutins erraient aussi, profitant de l'augmentation des heures d'obscurité.

Bien qu’il y ait certaines choses qui se chevauchent lors des deux fêtes, telles que la coutume de se déguiser et l’atmosphère festive, il n'y a pas de certitude sur le lien direct entre les deux célébrations (Resta, 2019). Étant donné que les données historiques disponibles sont incomplètes, on ne peut exclure que la festivité celtique n’ait pas influencé également la festivité chrétienne de la Toussaint.

Au-delà des liens qui peuvent exister entre ces festivités, il est intéressant de voir comment, dans toutes les sociétés, il semble exister un espace de rencontre et de célébration autour du monde des morts.

Au Mexique, par exemple, pendant le Jour des morts, on mange le traditionnel pain de mort et les têtes de mort en sucre et chocolat (Di Matteo, 2015). 

Manger à l’occasion de la célébration de la mort peut sembler étrange, mais il s’agit d’une coutume qui existait déjà dans la Rome antique. Pendant les refrigerium, des banquets étaient organisés près des tombes, où en plus de manger, on faisait également des offrandes de nourriture et de boisson, qui étaient placées à l'intérieur des tombes (Resta, 2019).

En partant de ces rites, on ne peut manquer de citer le roman Dracula de Bram Stoker ou le rythme des zombies danseurs de Thriller, le single de 1982 de Michael Jackson, sans oublier les innombrables films d’horreur. Ceci pour dire que l’homme s’est toujours posé des questions sur la fin de la vie.

La manière dont la vie et la mort s’entrelacent nous effraye, nous amène à nous poser des questions et nous fascine à la fois, et ce, depuis l'époque des cavernes. La lumière filtrée à travers le visage sculpté d’une citrouille témoigne de ce lien.

Jour des morts
Israyosoy S. - Pexels

La célébration de la mort

Que ce soit au moyen de l'espoir du réconfort de la vie après la mort, comme c’est le cas de la culture chrétienne, ou par l'acceptation de la fin de la vie comme quelque chose d’inéluctable typique de la culture mexicaine (Di Matteo, 2015), la célébration de la mort est un besoin psychologique fondamental.

En tant qu’êtres humains, nous ressentons le besoin de nous confronter à ce sujet au niveau individuel et collectif. Pendant la pandémie, nous avons réalisé à quel point il est douloureux de ne pas pouvoir dire au revoir aux personnes décédées et de célébrer comme il faut les rites funéraires. Reconstruire une signification partagée devient essentiel au moment d’affronter la douleur du deuil.

« Néanmoins, la tradition culturelle et religieuse fournit des rituels et des lignes directrices grâce auxquels l'individu peut tenter de façonner et de marquer la cadence du temps et les vicissitudes du “deuil psychologique” » (Neri, 2002).

Déjà dans les années 1920, le psychiatre et psychanalyste hongrois Sándor Ferenczi, dans son œuvre Thalassa, comparait les funérailles aux assemblées de sommeil ou rituels particuliers que certains animaux pratiquent pour se regrouper et se blottir les uns contre les autres.

On peut imaginer que lors des fêtes comme Halloween, jouer et plaisanter sur ce qui nous effraye, partager avec d’autres personnes l’attirance pour ce qui, autrement, serait considéré comme macabre et extravagant, acquiert une valeur et une signification collective et sociale.

Penser à la mort peut être effrayant, mais jouer avec d’autres personnes autour de ce sujet, qui éveille des émotions intenses, se transforme en quelque chose de plus facile à gérer. Le fait de partager certaines pratiques nous permet de nous ressentir comme partie d’un groupe, d’une communauté imaginée, un concept introduit par le philosophe Anderson dans les années 1980.

La recherche de la peur

La peur est une émotion largement étudiée et pourtant, toujours en discussion. Un des principaux experts de cette émotion, le neuroscientifique LeDoux, tente de clarifier cette question en établissant une distinction importante entre deux processus différents :

  • La perception de la menace : lorsque le cortex visuel perçoit un input menaçant, l'amygdale responsable de la réponse comportementale physiologique est activée, c’est-à-dire l’augmentation du rythme cardiaque et la prédisposition physique à la réponse combat-fuite.
  • La sensation de peur : qui implique une autre zone du cerveau, le néocortex, qui est responsable de la conscience de ce que l’on éprouve.

Conformément à cette distinction théorique, nous pouvons conclure que l’attirance pour les films d’horreur et les thrillers, les montagnes russes, ou bien la maison hantée, équivaut à une exposition contrôlée à une menace. Mais, pourquoi a-t-on tendance à faire cela ?

  • Besoin d’objectivation : observer, décrire et identifier une émotion devient un moyen pour la contrôler (Comi, 2018).
  • Besoin de narration : éprouver un sentiment de satisfaction en racontant la situation à laquelle nous avons été confrontés (Delpierre & Reduzzi, 1976).  Combien de fois nous arrive-t-il de ressentir à nouveau une poussée d'adrénaline, ainsi qu’une poussée d’estime de soi en quelque sorte, en racontant ce que nous avons ressenti en regardant un film d’horreur ou en faisant un tour dans une attraction ?
  • Besoin d’éduquer et de transmettre des normes sociales, religieuses et culturelles pour consolider l’appartenance à un groupe. Autrefois, face aux danses macabres peintes dans les églises de toute l'Europe, les personnes qui ne savaient pas lire pouvaient également se familiariser avec les concepts religieux, ainsi qu’avec la dimension de la mort et des préceptes de la vie.
  • Besoin d’entrer en contact avec des peurs ancestrales : la maladie mentale, la transformation du corps, l’inconnu, ce qui n’est pas humain, la peur de la mort, notre agressivité. Ce besoin peut être renforcé surtout dans des contextes historiques et sociaux comme celui actuel, marqué par l’angoisse liée aux catastrophes écologiques, au terrorisme et aux pandémies (Gili, 2011).

Il est donc complexe d’expliquer pourquoi nous nous exposons volontairement à une menace. Il est possible que la dimension du caractère volontaire et du contrôle nous fasse nous sentir en sécurité, comme s’il s’agissait d’une expérience ou d’une sorte d’entraînement auquel nous décidons de nous soumettre.

s'exposer volontairement à la peur
Pixabay

La fascination pour Halloween et les situations terrifiantes : un problème de sens ?

La question « qu’est-ce que représente la fête d’Halloween ? » apparaît ainsi de manière spontanée.

Déjà dans la Rome antique, lors des jours de festivité connus comme parentalia célébrés pendant le mois de février, après avoir honoré les défunts, les gens célébraient avec des danses et des banquets (Resta, 2019). La célébration de la mort et la relation entre l’au-delà et l’en deçà sont donc une constante de l’existence humaine. Mais pourquoi ?

La théorie de la gestion de la peur, formulée par Greenberg, Pyszczynski et Solomon (1986) à partir de la réflexion philosophique et anthropologique d’Ernest Becker, peut nous aider à répondre à cette question.

L’homme partage avec tous les autres animaux l’instinct de survie. Cependant, il se distingue d’eux par le fait d’avoir conscience de la fin de la vie : il sait qu’il est mortel. Cette certitude peut générer une angoisse latente qui conduit à la recherche de visions du monde capables de donner un sens plus profond à l'existence menacée par la mortalité.

L’estime de soi et l’adhésion rigide à des visions du monde comme celle fondée sur la foi peuvent s'avérer nécessaires pour nous raconter que nous sommes plus que des animaux liés à un cycle biologique précis.

Comme dit le chanteur Vasco Rossi : « Je veux trouver un sens à cette vie, même cette vie, un sens, elle n’en a pas ». On peut donc dire qu’à la base de notre flirt permanent avec tout ce qui concerne la mort, l’horreur, l’inconnu et ce qui est terrifiant, il y a un problème de sens.

La capacité des enfants, qui diraient « jouons avec ça » comme pour dire « même pas peur » peut être prise en exemple. C’est ainsi qu’il faut comprendre la transformation des questionnements sur la mort et ce qu'il y a après la mort en une fête joyeuse, car elle fait office de catharsis. De la même manière, dans la tragédie antique, la participation à un événement dramatique était un moyen de se soulager d'un certain poids sur les épaules : « je ne suis pas le seul à penser à une chose si extravagante, macabre, grotesque, agressive ou aberrante, heureusement que c'est arrivé au protagoniste de l'histoire et non à moi ».

D’un point de vue psychologique c’est comme si, lors de rituels comme celui d’Halloween, nous étions exposés à la menace d'une manière contrôlée et que nous rentrions ensuite dans la zone de confort de la réalité, en sachant que nous avons survécu et que nous possédons les ressources nécessaires pour faire face à ce contexte si terrifiant. Une sorte de thérapie de désensibilisation (LeDoux, 2018).

À combien d’expériences les enfants se frottent-ils de cette manière, à travers les jeux et la simulation ? En s’exposant à ces émotions, on peut apprendre à les reconnaître, à les tolérer et à les réguler.

C'est également le cas avec les films, les vidéos et les spectacles, c’est pourquoi les événements d’Halloween continuent de proliférer et l’horreur a de plus en plus de succès.

Halloween en tant qu’un moment pour se libérer de la mort

À l’occasion des Triomphes, les Romains disaient : semel in anno licet insanire, c’est-à-dire une fois dans l’année il est permis de délirer. Il s'agissait de situations spéciales, que l’on retrouve plus tard dans la tradition du carnaval, dans lesquelles les hiérarchies sociales habituelles pouvaient être renversées.

On pouvait se moquer des dirigeants et des empereurs, briser le statu quo au moyen du jeu et de la fantaisie. On fêtait l'événement en faisant semblant d'être ce que d’habitude l’on n'était pas, puis on se préparait à rejoindre la vie quotidienne et à revenir au respect des rôles de chacun et des normes sociales.

En ce qui concerne les thrillers et les films d’horreur, le film qui vient à l’esprit est American Nightmare (2013) où un futur dystopique, une nuit par an, le gouvernement des États-Unis interrompait les services de santé et de police pour permettre aux gens d’évacuer les frustration à travers la suspension complète des règles : tout est permis, y compris l'homicide.

On peut imaginer que pendant la fête d’Halloween, quelque chose de similaire est également activée dans l'espace sûr et contrôlé du jeu. La mort, l’agressivité, les démons, les fantômes, le bien et le mal font leur apparition. Pourtant, le pouvoir que l’on doit remettre en question est celui de la mort.

Delumeau (2018) décrit les coutumes superstitieuses des paysans en France, qui portaient avec eux des yeux et des dents de loup. Un peu comme si, pour se libérer de la peur, on essayait de porter l'élément qui la provoque. Cela pourrait aider à répondre à la question de pourquoi se déguise-t-on pour Halloween ?

De plus, Delumeau (2018) observe que la présence des masques est une constante dans les rituels pour se libérer de la peur, par exemple dans la culture africaine. Le masque devient l’expression, la défense et l'outil pour répandre la peur. Il est ainsi possible de donner une sorte de familiarité, rassurante parce que connue, aux animaux de la forêt, à leur esprit colérique, aux créatures terrifiantes dont on dit qu'elles existent, aux morts, aux éléments naturels et aussi à l’agressivité humaine dans ses représentations le plus violentes, sadiques et cannibales.

Halloween et enfants
Yaroslav Shuraev - Pexels

L’importance d’Halloween pour les enfants

À la fois tradition importée et machine commerciale, Halloween est devenue à la mode dans notre pays. En ce sens, la relation que cette célébration a avec l’enfance mérite une réflexion particulière.

Dans une société où parler de la mort aux enfants est devenu tabou, une occasion où, en tant que communauté, on offre la possibilité de jouer avec ce qui est effrayant peut s’avérer précieuse.

En fait, en jouant et en faisant semblant, on découvre que certaines situations peuvent être affrontées et surmontées en toute sécurité. Dans un espace protégé, on apprend à travers l’expérience d’une émotion ; on apprend à la reconnaître, à la nommer, à la tolérer et, en définitive, à la réguler. De la même manière qu’en se déguisant pour carnaval, on règle ses comptes avec les pouvoirs du bien et du mal, ce qui aide à l’intégration des valeurs morales.

Psychologie et traitement du deuil

Dans ce contexte, la psychologie peut être un soutien pour :

  • favoriser le récit d’émotions telles que la peur et les discours sur la fin de la vie et la mort, promouvant ainsi une forme de connaissance et d’apprentissage sur la mort.
  • contribuer au traitement du deuil. Bien que le deuil soit un processus normal, il peut devenir compliqué et donner lieu à de véritables pathologies. La perte d'une personne entraîne une tristesse physiologique et une réaction émotionnelle et comportementale qui suit certaines phases. Consulter un professionnel tel qu’un psychologue peut s’avérer important pour favoriser le processus de traitement qui sert à analyser les pensées, les émotions et les expériences, tandis que l’on évite que la personne soit empêchée de stagner dans l’absence totale de sens et le désespoir.

Mourir de… peur

Pour conclure cette exploration d’Halloween, il nous reste qu’à souhaiter que tout le monde puisse trouver un espace approprié pour faire face à la relation universelle avec la fin de la vie. 

La mort nous fait peur parce qu'elle nous confronte à l'inconnu, contre lequel notre raison ne peut rien. Les célébrations telles que Halloween permettent de remplir ce vide au moins de manière partielle.

Cachés sous le faux sang, les dents de vampire et les cicatrices de zombie, on joue à mourir… de peur !

Bibliographie

  • Cardini, F. (1983). I giorni del sacro. Il libro delle feste, Novara: Editoriale Nuova
  • Comi, A. (2008). Fear, Sin and Guilty. Review of Jean Delumeau, Sin and Fear: The Emergence of the Western Guilt Culture, 13Th-18th Centuries. Governare la paura. Journal of interdisciplinary studies
  • Delpierre, G., & Reduzzi, F. (1976). La paura e l'essere. Roma: Il pensiero scientifico
  • Delumeau, J. (2018). La paura in Occidente: storia della paura nell'età moderna. Milano: Il Saggiatore
  • Di Matteo, A. (2015). Pane dei morti, pane di vita. Una conversazione con Gloria Corica in occasione della pubblicazione di Pan del alma. Altre Modernità, (13), 186-190
  • Ferenczi, S. (1934). Thalassa: A theory of genitality. The Psychoanalytic Quarterly, 3(1), 1-29
  • Gili, G. (2011). Media e violenza: perché guardiamo?. Spazio Filosofico, 323-332
  • Greenberg, J., Pyszczynski, T., & Solomon, S. (1986). The causes and consequences of a need for self-esteem: A terror management theory. Public self and private self,  189-212. New York, NY: Springer 
  • LeDoux, J. (2018). Abbiamo equivocato i concetti di paura e ansia?. PNEI review: rivista della Società Italiana di Psiconeuroendocrinoimmunologia: 2, 2018, 5-21
  • Le Goff, J. (2013). La civiltà dell’Occidente medievale, Torino: Piccola Biblioteca Einaudi
  • Le Guay, D. (2004). La faccia nascosta di Halloween. Come la festa della zucca ha sconfitto Tutti i Santi. Torino: Elledici 
  • Neri, C. (2002). La condivisione del dolore. Quaderni di Psicoterapia Infantile, 44(8)
  • Resta, M. (2019). Ognissanti versus Halloween: note sulle origini storiche di un conflitto reale e virtuale in Italia. Sanctorum. Scritture, pratiche, immagini, 95-107
  • Rogers, N., (2002). Halloween. From Pagan Ritual to Party Night. Oxford: Oxford University Press.

Ce contenu est fourni à des fins d'information uniquement et ne peut pas remplacer le diagnostic d'un professionnel. Article révisé par notre rédaction clinique

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