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Split : le trouble dissociatif de l’identité entre cinéma et psychologie clinique

Split : le trouble dissociatif de l’identité entre cinéma et psychologie clinique
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Antonio Dessì
La Rédaction
Psychologue spécialisé en thérapie cognitive constructiviste
Unobravo
publié le
18.11.2024

Le film du 2016 Split, écrit et réalisé par M. Night Shyamalan, raconte l’histoire de Kevin, un homme souffrant du trouble dissociatif de l’identité (TDI) avec 23 personnalités différentes, et qui, un jour, en sortant d’un grand magasin, a séquestré trois filles.

Le film, mettant en vedette James McAvoy, Anya Taylor-Joy, Jessica Sula, Betty Buckley et Haley Lu Richardson, explore les particularités du trouble dissociatif de l’identité (TDI) sur le plan psychologique et social, sous un angle dramatique et captivant à la fois. 

L’œuvre ne se limite pas à réciter une histoire de suspense, mais elle fait réfléchir sur des questions importantes quant à la nature de l’esprit humain et les façons dont l’esprit peut se fragmenter lorsque l’on fait face à des traumatismes sévères et répétés pendant l’enfance.

La dissociation et le traumatisme

L’histoire du film Split est inspirée de l’histoire vraie de Billy Milligan, racontée par Daniel Keyes dans le livre The Minds of Billy Milligan (1981). Billy, arrêté en 1972 pour des délits graves, a été diagnostiqué avec un trouble dissociatif de l’identité. Il était capable de présenter 24 personnalités différentes.

Ce trouble peut avoir son origine dans des traumatismes de l’enfance profonds et répétés, comme chez Billy, qui avait été abusé par son beau-père.

Kevin, le personnage principal de Split, présente une histoire similaire d’abus de la part de sa mère, qui a laissé des cicatrices profondes dans sa psyché. Cette souffrance émotionnelle a pour résultat la fragmentation de la personnalité de Kevin, en tant que réponse extrême à ces traumatismes prolongés dans le temps.

La fragmentation a une fonction de défense contre la colère, la douleur et l’impuissance expérimentées par le petit Kevin, lorsqu’il lui fallait faire face à la confusion et à la violence des relations familiales.

Au contraire, le père de Kevin a abandonné soudainement la famille, en montant à bord d’un train et en laissant l’enfant sans protection à la merci de la mère, qui très probablement souffrait d’un profond trouble de la personnalité et de la régulation émotionnelle.

Film Split et le traumatisme
Izzy Park - Unsplash

Les stratégies de défense de Kevin

Dans le film, seulement certaines des nombreuses personnalités de Kevin font leur apparition. C’est à travers le point de vue d’une des trois filles séquestrées, Casey (aussi victime d’abus de la part d’un oncle), que l’on perçoit les différentes facettes.

Casey pressent la souffrance psychique de Kevin et essaye de dialoguer avec les différentes personnalités qui refont surface. Entre autres, Dennis, caractérisée par des traits de personnalité typiques d’une personne atteinte d’un trouble obsessionnel compulsif, assume le rôle du contrôle et de la punition.

Au contraire, Patricia et Hedwig, un enfant de neuf ans, montrent des comportements affectueux et protecteurs, bien que parfois abusifs.

Ces personnalités s’alternent et ont une fonction organisationnelle et de défense de Kevin. Elles le protègent de la confusion, de l'ambiguïté et de la peur provenant de son instabilité psychique. 

D’après le DSM 5, le trouble dissociatif de l’identité (TDI) entraîne une perturbation de l’identité, impliquant « une discontinuité marquée du sens de soi et de l’agentivité, accompagnée d’altérations, en rapport avec celle-ci, de l’affect, du comportement, de la conscience, de la mémoire, de la perception, de la cognition et/ou du fonctionnement sensorimoteur. »

Dans le cas de Kevin, cette discontinuité, ainsi que la toxicité et l’intensité des expériences vécues, l’amènent de manière défensive à fragmenter l’identité en de multiples personnalités non intégrées, c’est-à-dire, des personnalités qui ne dialoguent pas entre elles, car elles sont séparées. Celle-ci est la meilleure adaptation possible à la réalité qu’il a vécue et aux expériences traumatiques qu’il n’a jamais pu surmonter sur le plan émotionnel et affectif.

Le rôle de la docteure Fletcher

La docteure Fletcher, psychiatre de Kevin, essaye d’intégrer les multiples personnalités afin de pouvoir dialoguer avec Kevin. Cependant, ses tentatives ne réussissent pas à stabiliser complètement le patient.

Le manque d’intégration des états dissociés comporte des conséquences dramatiques et fait finalement ressortir La Bête, une personnalité très violente qui représente le conteneur des émotions d’auto-préservation et de vengeance des traumatismes réels subis par Kevin.

Les personnalités qui, alternativement, « voient le jour » sont des tentatives ratées de s’adapter et de surmonter les abus. Chez Kevin, ces personnalités ont atteint la séparation complète ; représentant, d’un point de vue clinique, la vrai psychose.

La docteure Fletcher est une psychiatre très sympathique, douce et, parfois, même excessivement compréhensive, mais jamais directement nuisible, d’après Kevin.

Dans le domaine professionnel, elle semble être enthousiaste à l’égard du phénomène de la personnalité multiple de son patient. Elle croit que les différentes personnalités sont une capacité humaine spéciale et argumente ces théories dans des symposiums internationaux. On affirme même qu’une personnalité peut souffrir de diabètes et non les autres.

Malgré son enthousiasme et l’étude profonde du cas, la docteure finit par négliger les signaux essentiels d’une crise psychotique imminente que Kevin anticipe dans la séance.

Fletcher essaye de gérer la confusion du patient avec une violation du setting thérapeutique, en l'amenant chez elle. Cette transgression des règles du cadre thérapeutique est extrêmement grave au plan de l’éthique clinique et de ses conséquences. 

L’une des erreurs critiques de la psychiatre est l’absence de reconnaissance de l’importance de La Bête, la vingt-quatrième personnalité de Kevin. Cette figure représente l’incarnation de la haine et de la vengeance, le côté sombre de la psyché que, d’après le psychiatre Jung, contient tous les aspects réprimés et inacceptables de la personnalité.

La fragmentation de la psyché dans le film Split
Izzy Park - Unsplash

L’importance du symbolisme dans le film

Le film utilise un symbolisme puissant pour représenter la complexité du trouble dissociatif.

Par exemple, l’ordinateur de Kevin, avec ses nombreuses « fenêtres » de conscience, symbolise la fragmentation de sa psyché et offre une métaphore compréhensible et accessible du fonctionnement d’une personne souffrant d’un trouble dissociatif.

Chaque « fenêtre » représente une personnalité différente et chacune d’entre elles essaye de faire surface et de prendre le contrôle de la conscience. Cela se reflète également dans le récit compilé par la docteure Fletcher, qui garde avec soin un dossier contenant les fiches de chacune des personnalités qui font surface chez Kevin. 

Un autre symbole significatif est la lumière, qui représente la conscience et le contrôle conscient. Dans le film, les personnalités de Kevin luttent afin de « s’asseoir sous la lumière », un concept qui se réfère au symbolisme freudien de la lutte entre le conscient et l’inconscient.

Dans le contexte du TDI, la lumière représente le désir de chaque personnalité d’émerger et de prendre le contrôle, une métaphore de la lutte interne de Kevin afin de maintenir un sentiment d’identité cohérent et d’éviter la psychose.

Un autre élément symbolique parmi les plus forts du film est la scène principale : le zoo. Les animaux représentent d’habitude les instincts primaires et la force de l’inconscient. Avec la dualité entre l’ordre et la nature sauvage, on peut voir le zoo comme une métaphore de la psyché du personnage principal, où ses personnalités dissociées sont des « animaux » dressés et enfermés, qui conservent encore un instinct dangereux.

La Bête, la vingt-quatrième personnalité, est l’incarnation de ces instincts animaux, une entité qui a abandonné toute ambition d’être humain et civilisé afin d’embrasser une force brutale et destructrice.

La régression psychotique de Kevin, représentée lorsque cette personnalité émerge, est un retour à un état de conscience plus primitif, où les instincts dominent et la rationalité est complètement remplacée.

Les défenses psychologiques et l’échec de l’intégration

À travers l’analyse de ce film, on vise à mettre en évidence la souffrance psychique de Kevin, en essayant de souligner que chacune des personnalités représente une tentative spécifique de se défendre de la douleur et du traumatisme. En fait, dans le film, on peut observer notamment :

  • la projection,
  • l'isolement affectif,
  • la répression.

Lorsque de nombreux mécanismes de défense extrêmes sont présents, les personnalités ne réussissent pas toujours à s’intégrer et à raconter le traumatisme au sein d’un récit unique et d’un sentiment d’identité solide. Au contraire, elles produisent une déconnexion, frôlant la psychose, ou le renforcement des défenses (l’intransigeance de la personnalité de Patricia en est un exemple).

La psychose est une condition où la réalité se déforme, s’inverse, s’éloigne et se projette sur d’autres personnes ou sur une autre chose dont il est nécessaire de se protéger car on s’en sent responsable. En fait, les victimes d’abus peuvent sentir qu’elles méritent l’abus et perpétuer les problèmes affectifs importants même à l’âge adulte.

Du point de vue psychothérapeutique, le film met en évidence l’importance de l’intégration de l’ombre, un concept clé de la théorie de Jung. L’ombre représente tous les aspects de la personnalité réprimés ou niés, mais pouvant influencer le comportement de façon subtile et destructrice. Dans le cas de Kevin, « l’incarnation » de l’ombre est La Bête.

Dans la thérapie du TDI, le sujet de l’intégration des différentes personnalités dans un soi cohérent, et la capacité à faire face au traumatisme à la base de la dissociation, est essentiel. Dans le film, l’absence d’intégration de cette personnalité symbolise l’échec du processus thérapeutique et souligne l’importance d’adopter une approche qui travaille activement afin d’atteindre la cohésion.

Dans ce cas-ci, la docteure Fletcher a également commis une erreur, elle a sous-estimé les sentiments négatifs que Kevin pourrait ressentir à son égard (transfert négatif) et ceux qu’elle ressentait envers certaines des personnalités du patient (contre-transfert négatif).

La complexité de la figure de Casey

Un autre personnage central du film est Casey, une des filles séquestrées par Kevin. Casey a été victime d’abus et de harcèlement sexuel pendant l’enfance de la part d’un oncle ; pourtant, à la différence de Kevin, elle a développé une personnalité plus résiliente grâce au soutien et à l’amour de son père.

Cette caractéristique la transforme en une figure qui contraste considérablement avec Kevin : tandis qu’il a fragmenté sa personnalité afin de survivre, Casey a développé une capacité d’observation et une estime de soi lui permettant d’affronter les situations difficiles avec lucidité.

C’est précisément elle qui réalise les différentes personnalités de Kevin, avec une intuition qui provient probablement d’un reflet, dont le coût est celui de prendre conscience de ses abus, ressentis dans son corps et arrivant dans son esprit sous la forme de flashback et de pensées intrusives.

La capacité de Casey à interagir avec les différentes personnalités de Kevin, en particulier avec sa partie infantile, Hedwig, lui permet d’avoir accès à des informations essentielles qui l'aideront à survivre.

Ce contraste entre Casey et Kevin n’offre pas seulement une réflexion profonde sur l’influence de l’enfance et des relations affectives dans le développement de la personnalité, et dans la capacité à faire face aux traumatismes, mais aussi sur l’importance de recevoir du soutien de la part d’une figure de référence.

Analyse psychologique du film Split
Jeshoots - Pexels

Le film Split et la psychologie

Le film Split ne reflète pas fidèlement la réalité clinique du trouble dissociatif de l’identité (TDI), mais il offre une puissante métaphore de la fragmentation de la psyché et des problèmes auxquels font face les individus lorsqu’ils essayent d’intégrer les parties divisées de leur identité et de leur histoire.

Un des aspects les plus significatifs du film est sa capacité à mettre en lumière la complexité de la souffrance psychique, donnant de la visibilité à ce qui souvent reste caché ou incompris. À une époque où les maladies mentales sont encore stigmatisées ou minimisées, Split contribue à sensibiliser le public sur des sujets difficiles tels que l’abus des enfants et la maltraitance.

Néanmoins, il est essentiel de souligner que le film dramatise le trouble dissociatif à des fins narratives. En réalité, le TDI est un trouble extrêmement rare et complexe, qui ne se manifeste pas de manière aussi spectaculaire.

Les personnalités multiples ne possèdent pas des pouvoirs surhumains, ni ne peuvent « prendre le contrôle » de l’esprit de façon si claire et dramatique comme montré dans le film.

Le film ne doit donc pas être interprété comme une représentation précise de la condition, mais comme une fenêtre permettant d’observer certains des sujets psychologiques les plus profonds de la nature humaine.

Même en étant une exagération cinématographique, Split touche un point fondamental : la dissociation comme mécanisme de défense. Bien que la plupart des personnes ne développent pas des personnalités multiples comme Kevin, tous, dans une certaine mesure, vivent une sorte de dissociation dans la vie quotidienne.

Il s’agit d‘un processus naturel que la psyché utilise pour se protéger de la douleur, de l’anxiété et du stress.

Par exemple, de nombreuses personnes peuvent traverser des moments de « déconnexion » de la réalité pendant des événements particulièrement stressants ou traumatiques. Que ce soit le fait de ne pas se souvenir d’un accident de circulation, de se détacher émotionnellement pendant un conflit ou de vivre en mode automatique des situations routinières tandis que leur esprit est ailleurs.

Ces sont des fragments de dissociation qui, bien qu’ils ne soient pas pathologiques, reflètent la capacité de l’esprit à se protéger et à s’adapter aux situations difficiles.

L’esprit humain a une extraordinaire capacité de résilience, qui doit être accompagnée d’un processus de traitement et d’intégration des traumatismes : la psychothérapie est une voie viable et nécessaire pour retrouver un sentiment d’unité et de cohérence interne.

Lorsque celle-ci ne se produit pas, comme dans le cas de Kevin, la dissociation peut évoluer vers une fragmentation extrême, menant à une rupture avec la réalité et au retour au monde des super-héros des comics qui, en ce qui concerne Kevin, étaient peut-être les seuls interlocuteurs et le seul espace de dialogue présents dans son enfance, pendant les abus et la maltraitance qu’il a subis.

Bibliographie

  • Keyes, D., (1981). The Minds of Billy Milligan. Random House
  • American Psychiatric Association (2015), Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5), Elsevier Masson

Ce contenu est fourni à des fins d'information uniquement et ne peut pas remplacer le diagnostic d'un professionnel. Article révisé par notre rédaction clinique

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