L’utilisation des réseaux sociaux a, sans aucun doute, d’innombrables motivations positives, telles que rejoindre les membres de la famille, aider à diffuser des messages positifs et de solidarité, voire contribuer à sauver des vies (par exemple, en trouvant plus facilement des donneurs de sang et d’organes). Cependant, son utilisation a également des implications négatives et pathologiques telles que l’addiction aux réseaux sociaux, ou social media addiction, dont nous parlerons dans cet article.
« Il y a seulement deux industries qui appellent leurs clients “utilisateurs” : celle de la drogue et celle du logiciel ». Edward Tufte
Qu’est-ce que l’addiction aux réseaux sociaux ?
Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) prend uniquement en considération le trouble de l’utilisation d’internet. Pourtant, même si l’addiction aux réseaux sociaux n’est pas mentionnée formellement parmi les actuelles pathologies psychiatriques reconnues, l’utilisation excessive et compulsive des réseaux sociaux est désormais considérée à tous égards comme une addiction comportementale (telles que l’addiction sexuelle, les achats compulsifs ou l’addiction aux jeux).
Les chercheurs Andreassen et Pallesen définissent l’addiction aux réseaux sociaux comme : « être excessivement préoccupé des réseaux sociaux, être animé d’une forte motivation à se connecter ou à utiliser les réseaux sociaux, y consacrant autant de temps et d’efforts qu’ils arrivent à mettre en danger d’autres activités sociales, d’étude ou de travail, des relations interpersonnelles et/ou la santé psychologique et le bien-être ».
Les symptômes de l’addiction aux réseaux sociaux
Dans une étude de 2015, Andreassen identifie une similitude impressionnante entre l’addiction chimique, due à la consommation de drogues, et l’addiction comportementale ; une analogie qui peut nous amener à concevoir l’utilisation compulsive des réseaux sociaux comme une « drogue sociale ».
Ces deux typologies d’addiction ont ces sept symptômes en commun :
- Saillance : les personnes passent beaucoup de temps sur les réseaux sociaux et pensent à comment trouver encore plus de temps afin d’y rester connectées.
- Tolérance : chez les personnes addictes aux réseaux sociaux, ce comportement initial est suivi d'une sensation croissante d'urgence à rester connecté pour atteindre le même niveau de plaisir.
- Modification de l’état d’esprit : on utilise les réseaux sociaux pour atténuer les sentiments de culpabilité, d’anxiété, d’agitation, d’impuissance et de dépression, et pour essayer d’oublier ses propres problèmes personnels.
- Abstinence : du simple fait de ne pas avoir accès à leur compte, les personnes montrent des signes de « sevrage des réseaux sociaux » caractérisés, comme dans l’abstinence en général, par du stress, de l’impatience, de la perturbation ou de l’irritabilité.
- Rechute : les personnes qui utilisent beaucoup les réseaux sociaux rejettent les conseils de ceux qui suggèrent de réduire leur temps en ligne et essayent souvent de diminuer l’utilisation de leur compte, sans y réussir.
- Conflict : les priorités ne sont plus les hobbies, les activités en plein air, le sport, les études, le travail, la famille ou les amis.
- Problèmes : l’utilisation immodérée et excessive des réseaux sociaux conduit finalement à des rechutes significatives dans la vie quotidienne.
Il est important de faire la différence entre l’addiction à internet et l’engagement normal dans l’utilisation des réseaux sociaux, qui est ce que l’on expérimente le plus souvent. Il convient de se souvenir qu’une véritable addiction est associée à des conséquences défavorables provoquées par le fait d’être connecté, qui devient hors de contrôle et compulsif et mène à des possibles effets secondaires sur :
- les rythmes du sommeil,
- les relations,
- le bien-être et
- d'autres nombreuses activités ;
sans plus réussir à mener une vie multidimensionnelle. Ce type d’addiction comportementale est certainement en pleine croissance, mais il est encore prématuré de tirer des conclusions sur la prévalence et les facteurs de risque, en attente d’études additionnelles.
Les effets psychologiques des réseaux sociaux
Qu'est-ce qui rend les réseaux sociaux si attrayants ? Derrière nos écrans de fumée (The social dilemma en anglais) est un documentaire Netflix qui ouvre un débat fondamental sur les réseaux sociaux et la santé mentale. Dans le documentaire, on explique que le but d’Instagram, Facebook et beaucoup d’autres réseaux sociaux analogues est de comprendre comment attirer l’attention des utilisateurs — c’est-à-dire notre attention — pendant aussi longtemps que possible.
L’étape suivante est celle d’élargir notre réseau social, augmentant le nombre d’annonceurs en concurrence pour l’obtention d’un espace publicitaire sur les plateformes : les annonceurs sont donc les clients des plateformes et nous, les utilisateurs, sommes le produit qui leur est vendu.
Modifier le comportement des individus pour les inciter à utiliser davantage les plateformes numériques a été, pendant un certain temps, l’objet d’étude du Stanford Persuasive Technology Lab. Par exemple, ce n’est pas un hasard que le mur Facebook soit mis à jour constamment grâce à un simple mouvement du doigt, pour toujours montrer des nouvelles choses.
Les réseaux sociaux et les machines à sous ont le même système de récompense : à chaque fois que nous prenons notre téléphone, nous avons la possibilité de trouver quelque chose de nouveau.
Les personnes qui ont collaboré à la création et au perfectionnement de ces plateformes sont devenues dépendantes de ces mécanismes, même en étant conscientes.
Cela indique que la conscience n’est pas suffisante pour modifier un comportement nocif, de même qu’il ne suffit pas de savoir que la consommation de cigarettes, de drogues ou d’alcool est nocive, pour ne pas en abuser.
L’homme en tant qu’animal social
Le docteur Yuval Noah Harari, historien, essayiste et professeur d’université israélien spécialisé en histoire du monde, dans son livre Sapiens: Une brève histoire de l’humanité raconte comment il y a près de 70.000 ans, l’Homo sapiens a commencé à faire quelque chose vraiment spéciale, qui l’a mené à la suprématie sur les autres espéces humaines : la révolution cognitive, le développement de nouveaux modes de pensée et de communication.
On ne connaît pas avec certitude ce qui a donné naissance à cette révolution. D’après la théorie de l’homme en tant qu’animal social, nos compétences linguistiques si uniques ont évolué pour partager des informations à l’égard du monde autour et, en particulier, à l’égard des autres êtres humains, c'est-à-dire comme une forme de commérages.
À la base de cette théorie, il existe une hypothèse selon laquelle la coopération sociale est notre clé pour survivre et nous reproduire. Afin de survivre, il était très important de savoir, par exemple :
- qui détestait qui au sein de la tribu,
- qui était l’allié de qui,
- qui était honnête et qui était un traître.
Ce type d’informations garantit la confiance nécessaire pour faire progresser la tribu et développer des types de coopération toujours plus sophistiquées. Pour l’Homo sapiens actuel, la plupart de la communication humaine, bien qu’il ait lieu au moyen d’outils digitaux, tourne encore autour des mêmes sujets.
Qu’est-ce qui se passe dans notre cerveau ?
Comme illustré par une étude de 2016, le besoin biologique d’être connecté à d’autres personnes a des effets immédiats sur les principales régions du cerveau associées à la libération de dopamine et à l’activation du système de récompense. Ce système est le même qui produit les effets de la drogue sur le système nerveux.
Les résultats de l’étude ont montré que plus le niveau d’addiction à Facebook est élevé, plus le volume du cerveau diminue. De manière très similaire à la mort des cellules cérébrales chez les personnes dépendantes de la cocaïne, l'utilisation de l'imagerie par résonance magnétique a montré une réduction significative de la matière grise et de l’amygdale liée à l’addiction à Facebook.
Pourquoi les réseaux sociaux sont addictifs ?
Les réseaux sociaux sont devenus une partie intégrante de notre vie quotidienne jusqu’au point de créer une addiction : quelles peuvent donc être les causes de la dépendance aux réseaux sociaux ?
Comme nous l'avons mentionné précédemment, les réseaux sociaux offrent une sorte de gratification immédiate. Recevoir des likes, des commentaires ou des partages active le système de récompense dans notre cerveau, ce qui libère des neurotransmetteurs tels que la dopamine qui nous font nous sentir bien.
Cette gratification instantanée peut devenir facilement une source de plaisir et de confort, nous incitant à chercher constamment l’approbation et l’attention des autres. De plus, les réseaux sociaux sont conçus pour être engageants et stimulants.
Les notifications, les nouveautés et les fils d'actualité sont conçus pour capter notre attention et rester connectés aussi longtemps que possible. Ce design intentionnel peut rendre difficile de se détacher des réseaux sociaux et contribuer à l’addiction.
Les réseaux sociaux, ensuite, peuvent agir comme un mécanisme d’évasion de la réalité. Ils offrent une opportunité de fuite des problèmes et du stress de la vie quotidienne, nous permettant de nous immerger dans un monde virtuel d'images et d'histoires séduisantes.
Cette fuite peut devenir une échappatoire pour beaucoup de personnes, notamment lorsque la vie réelle devient difficile à gérer. De plus, notre tendance naturelle à comparer nos vies avec celles des autres peut être amplifiée sur les réseaux sociaux, où les personnes ont tendance à montrer seulement les moments les plus beaux et heureux de leur vie.
Addiction aux réseaux sociaux : les conséquences principales
Peu importe qu’il s’agit d’une addiction à Facebook, à Instagram ou à Tik Tok, entrer dans ce cercle vicieux typique des addictions peut aggraver notamment :
- Le sentiment d’inadéquation et la faible estime de soi, nous poussant à chercher constamment une confirmation externe pour nous sentir dignes et acceptés.
- L’isolement social : l’addiction aux réseaux sociaux peut mener à une réduction du contacte direct avec les gens, contribuant au sentiment d’isolement et de solitude.
- Les troubles du sommeil peuvent aussi être énumérés parmi les symptômes de l'addiction aux réseaux sociaux : en fait, l’utilisation excessive des réseaux sociaux, surtout avant de se coucher, peut interférer avec la qualité du sommeil et provoquer des troubles du sommeil tels que l’insomnie.
- La dépression : l’utilisation excessive des réseaux sociaux, partiellement en raison d'une comparaison sociale négative et de la restriction des interactions sociales hors ligne, peut contribuer à l’apparition de troubles dépressifs.
- L’anxiété sociale : l’addiction aux réseaux sociaux peut alimenter l’anxiété sociale, car les personnes peuvent perdre encore plus de confiance en elles et préférer d‘avoir des interactions en ligne.
- La solitude : la nature des interactions sur les réseaux sociaux peut mener à une sensation de connexion sociale fausse ou illusoire. Tandis que nous pouvons avoir beaucoup d’amis en ligne, la vie hors ligne peut devenir plus solitaire. Cette solitude peut nous inciter à chercher encore plus de confort dans les réseaux sociaux.
Addiction aux réseaux sociaux : est-ce que cela affecte seulement aux plus jeunes ?
On pourrait penser que les générations les plus jeunes, qui ont grandi avec internet, sont plus en risque de développer une addiction aux réseaux sociaux, mais elles ne sont pas les seules. Une étude de 2017 met en évidence que 40 % des mères et 32 % des pères ont déclaré utiliser la technologie numérique, et plus précisément leurs smartphones, de manière problématique.
Chez les deux parents, l’interférence de la technologie dans les activités de leurs enfants était associée :
- à une pire perception du partage des obligations parentales,
- à des symptômes dépressifs,
- au stress parental.
D’après d’autres études, lorsque les parents utilisent le téléphone devant les enfants, la présence physique n’est pas suffisante, parce qu’ils ont tendance à être plus distraits et moins réceptifs, ayant donc du mal à gérer à la fois leurs smartphones et les exigences de leurs enfants.
Ces comportements peuvent avoir des conséquences négatives pour le développement socio-émotionnel des enfants qui, en se sentant négligés, ont tendance à attirer l’attention ; ce qui parfois provoque de la colère et de la frustration chez les parents.
Il est donc important de ne pas sous-estimer les symptômes et les comportements liés aux réseaux sociaux, qu’il s’agisse de l’addiction aux réseaux sociaux chez les adultes ou les jeunes, afin de pouvoir agir avant l'apparition d’une véritable addiction.
Sommes-nous vraiment connectés ?
Il est paradoxal de constater que les plateformes créées pour rendre plus facile le partage et la connexion entre les personnes peuvent provoquer l’effet contraire, pas seulement dans les cas les plus extrêmes mais aussi dans les cas les plus courants.
Elles sont capables de nous faire sentir encore plus isolés, pas à la hauteur des standards irréalistes de cette vie parfaite et éternellement heureuse, que nous voyons dans les murs d’actualité, nous faisant expérimenter ce que l’on appelle la fear of missing out.
D’après quelques chiffres clés de la MILDECA, « à 15 ans, 5 % des garçons et 11 % des filles ont un usage problématique des réseaux sociaux ».
Aujourd'hui, les termes « communiquer » et « connexion » n’ont peut-être plus la même signification qu’ils avaient lorsque nos ancêtres, il y a 70 000 ans, s’asseyaient ensemble autour du feu pour avoir de longues conversations, en se regardant dans les yeux.
Addiction aux réseaux sociaux : comment la surmonter ?
On peut dire que la plupart des personnes ont un certain degré d’addiction aux réseaux sociaux, même s’il n’est pas pathologique. Pensez, par exemple, à la difficulté de ranger votre téléphone pendant un dîner ou au nombre de fois où vous avez ressenti que vous n'étiez pas vraiment présent ou écouté pendant une conversation.
Les réseaux sociaux risquent de devenir de plus en plus un moyen pour s’évader et se déconnecter des émotions, en cherchant des gratifications instantanées et temporaires, qui n’existent pas dans la réalité hors ligne.
Dans le cas d’une véritable addiction, il est conseillé d’avoir recours à des groupes de soutien mutuel et des parcours de psychothérapie. Mais, en général, même pour ceux qui ne sont pas gravement dépendants et ont pourtant l’impression qu’ils passent la plupart du temps sur les réseaux sociaux, le Center for Human Technology suggère une série d’actions pour s’approprier à nouveau du temps que les réseaux sociaux prennent si facilement.
Comment traiter l’addiction aux réseaux sociaux à l’aide d’un expert
La lutte contre l’addiction aux réseaux sociaux est un problème de plus en plus courant dans l’ère du numérique. Cependant, les professionnels du bien-être psychologique sont de notre côté pour nous soutenir à travers ce type d’expériences.
En fait, la psychologie joue un rôle fondamental dans la compréhension de l’origine de l’addiction aux réseaux sociaux. Comme nous l’avons mentionné auparavant, les causes peuvent être de diverse nature et la dépendance aux réseaux sociaux peut être associée à une série de facteurs psychologiques, tels que la recherche d’une gratification immédiate, le manque d’estime de soi, la solitude et l’anxiété sociale.
Un professionnel peut donc agir afin d’identifier les causes sous-jacentes du comportement dépendant et de développer des stratégies conçues pour y remédier. En plus des entretiens cliniques, il a à sa disposition divers outils tels que les tests psychologiques de screening comme l’échelle Bergen social media addiction scale, un outil développé pour mesurer le risque d’addiction aux réseaux sociaux et d’autres comportements en ligne.
La prise de conscience, l’engagement, le soutien professionnel adéquat et les stratégies correctes peuvent contribuer à réduire l’utilisation excessive des réseaux sociaux et à retrouver un équilibre sain entre la vie en ligne et la vie hors ligne.